Par un arrêt du 27 avril 2022 (C-674/20), répondant à des questions préjudicielles posées par la Cour constitutionnelle belge, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé la possibilité pour l’administration fiscale d’un État membre de demander des renseignements aux plateformes électroniques afin de faciliter l’enrôlement d’un impôt grevant les utilisateurs de ces plateformes.
L’affaire concerne plus particulièrement l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 décembre 2016 relative à la taxe régionale sur les établissements d’hébergement touristiques. L’article 12 de cette ordonnance impose aux plateformes électroniques, telles qu’Airbnb, de communiquer à l’administration fiscale, sur demande écrite de celle-ci, les données de l’exploitant et de son hébergement touristique en vue de l’enrôlement de la taxe. Une amende de 10.000€ peut être imposée à l’intermédiaire qui reste en défaut de faire suite à cette demande d’informations.
Cette disposition a fait l’objet d’un recours en annulation introduit par Airbnb devant la Cour constitutionnelle, qui a posé deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne : l’une a trait à la violation alléguée de la directive 2000/31 sur le commerce électronique, l’autre porte sur la compatibilité de l’article 12 avec la libre prestation de services.
La directive 2000/31 met à charge des États membres une obligation de notifier à la Commission européenne les projets de loi touchant aux services de la société de l’information. En l’espèce, Airbnb dénonçait le fait que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 n’avait pas fait l’objet d’une notification préalable à la Commission. La directive 2000/31 dispense néanmoins les États membres de procéder à une telle notification lorsque le projet de loi s’inscrit dans le « domaine de la fiscalité ». Airbnb soutenait que la notion de « domaine de fiscalité » devait être interprétée strictement de manière à exclure les règles de procédure fiscale comme l’article 12 de l’ordonnance, par opposition aux règles fiscales matérielles.
À cet égard, la Cour de justice constate que la directive 2000/31 a été adoptée sur pied de l’article 114 TFUE, qui exclut de son champ d’application « le domaine de la fiscalité » au sens large. Par ailleurs, la Cour relève que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016, bien que touchant uniquement à l’enrôlement d’un impôt, est indissociable du reste de l’ordonnance qui constitue une réglementation fiscale matérielle. En effet, les informations transmises par les plateformes sur cette base sont de nature à identifier le redevable et l’assiette de la taxe. Dans un tel contexte, la Cour considère que l’article 12 relève du domaine de la fiscalité, et qu’il ne devait pas faire l’objet d’une notification préalable.
Quant à la violation alléguée de l’article 56 TFUE consacrant la libre prestation des services, la Cour note que l’article 12 de l’ordonnance ne peut être qualifié de « mesure discriminatoire » étant donné qu’il s’applique de la même manière à tous les prestataires de services d’intermédiation immobilière, indépendamment de leur lieu d’établissement et de leur manière d’opérer ces services. Le but poursuivi par l’article 12 n’est pas non plus de régir les conditions d’exercice de ces plateformes en Belgique, dès lors qu’il se limite à mettre à leur charge un devoir d’information en cas de demande écrite de l’administration fiscale en ce sens.
La Cour concède que les plateformes offrant leurs services sur Internet sont susceptibles de faire l’objet de demandes plus fréquentes de la part de l’administration fiscale. Elle considère néanmoins que ceci n’est qu’une conséquence de l’état du marché actuel, ce qui n’est pas, en soi, constitutif d’une discrimination. À la lumière de l’ensemble de ces éléments, la Cour de justice conclut que l’article 12 de l’ordonnance du 23 décembre 2016 ne constitue pas une restriction à la libre prestation des services.
Il est à noter qu’une affaire similaire a été portée devant la Cour de justice par le Conseil d’État italien (C-83/21 – Airbnb Ireland / Agenzia delle Entrate). Ce cas se distingue toutefois par le fait que la législation italienne impose aux plateformes électroniques, en plus du devoir d’informations, de procéder au recouvrement de l’impôt. Dans ses conclusions, l’avocat général a considéré qu’il s’agissait d’une entrave à la libre circulation des services. En effet, cette mesure fait reposer sur les plateformes une responsabilité financière accrue, dès lors qu’elles devront jouer les intermédiaires entre les bailleurs et l’administration fiscale. L’avocat général a néanmoins estimé que cette mesure poursuivait un objectif légitime, à savoir le recouvrement efficace de l’impôt et la lutte contre l’évasion fiscale, et qu’elle n’était pas disproportionnée. L’arrêt de la Cour de justice devrait être rendu prochainement.
Victor Davain