Une récente question préjudicielle posée par le Conseil d’État italien a permis à la Cour de justice de l’Union européenne de clarifier sa jurisprudence quant à l’interprétation de la notion de « modifications substantielles » aux concessions en cours dans le cadre du renouvellement d’un tel contrat. C’était également l’occasion pour la Cour d’apporter des précisions utiles concernant le champ d’application ratione temporis de la directive 2014/23 relative à l’attribution des contrats de concession.
Le Conseil d’État était lui-même saisi d’un recours intenté par trois entreprises. Ces dernières contestaient la décision d’une autorité italienne de renouveler, sans organiser de nouvelle procédure d’attribution, la concession accordée à la société Lottomatica pour une durée de 9 ans pour exploiter des jeux de grattage sur l’ensemble du territoire italien.
La première question soumise à l’appréciation de la Cour consiste à déterminer si la directive 2014/23 est applicable au cas d’espèce. En effet, l’article 54 de cette directive prévoit qu’elle ne s’applique pas aux concessions « ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant le 17 avril 2014 ». Or, la concession en cause dans le cas présent a fait l’objet d’une offre et a été attribuée en 2010. Cependant, la Cour de justice précise que, en cas de modification substantielle d’un contrat de concession, la date qu’il faut prendre en considération pour déterminer l’applicabilité de la directive est celle à laquelle ladite modification est entrée en vigueur. La Cour retient donc que la question tendant à déterminer si le renouvellement de la concession, entré en vigueur en 2017, constitue une modification substantielle du contrat initial doit être appréciée à l’aune de la directive 2014/23.
La Cour s’intéresse ensuite à la question de savoir si la décision de renouveler la concession constitue une modification du contrat qui aurait dû faire l’objet d’une nouvelle procédure d’attribution. Pour rappel, l’article 43, §1, a) et e) de la directive 2014/23 prévoit que les concessions en cours ne peuvent être modifiées sans procéder préalablement à l’organisation d’une nouvelle procédure d’attribution que si :
- Une telle modification, quel que soit son montant, est prévue dans le contrat de concession initial sous la forme de clauses claires, précises et non équivoques ou ;
- Elle ne constitue pas une modification substantielle, quel que soit son montant.
Les requérantes soutiennent que le renouvellement de la concession constitue une violation de l’article 43, de la directive 2014/23 en ce que 1) elle a été décidée en faveur d’un seul concessionnaire 2) deux ans avant son terme et 3) elle change la méthode de paiement de la concession.
Concernant le premier point, la Cour de justice note que le contrat de concession initial contenait une clause claire et sans équivoque permettant à l’autorité de renouveler la concession pour une durée de neuf ans. Le fait que la concession n’ait été renouvelée qu’en faveur d’un seul opérateur économique alors que la législation nationale prévoyait, en principe, plusieurs concessionnaires résulte uniquement de l’application de cette clause de renouvellement au cas d’espèce où il n’y avait qu’un seul candidat lors de la procédure d’attribution initiale. Ceci ne constitue donc aucunement une modification du contrat de concession.
Deuxièmement, la Cour estime que le fait que le renouvellement du contrat ait été décidé deux ans avant son terme ne peut être considéré comme une modification de ce contrat dès lors que ni la loi italienne ni le contrat n’imposaient de date à laquelle la décision de renouvellement devait être prise.
Enfin, la Cour considère que, bien que le contrat initial ne prévoyait pas de clause permettant la modification des conditions financières de la concession, ceci ne constitue pas une modification substantielle au sens de l’article 43, §1, e) de la directive 2014/23. A cet égard, la Cour rappelle qu’une modification est substantielle lorsqu’elle introduit des conditions qui auraient permis la participation d’autres candidats à la procédure d’attribution du contrat ou lorsqu’elle modifie l’équilibre économique du contrat en faveur du concessionnaire d’une manière qui n’était pas prévue dans le contrat initial. En l’espèce, une modification des modalités de paiement ne constitue pas une modification substantielle en ce qu’elle n’altère pas l’équilibre économique de la concession. Tel n’aurait pas été le cas si la décision de renouvellement modifiait également le prix de la concession par exemple.
Par cet arrêt, la Cour affirme qu’il convient d’apprécier le caractère « substantiel » des modifications aux contrats de concession de manière objective. En effet, elle insiste sur le fait que les considérations d’intérêt public qui ont mené l’autorité à décider du renouvellement ne sont pas déterminantes pour apprécier si cette décision entraine des modifications substantielles au contrat de concession.
Victor Davain