Le demandeur avait été engagé par les Habitations sociales du Roman Païs en qualité d’ouvrier-compagnon dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée et d’un temps plein.
Il avait toutefois, dès le début de son travail, été mis à la disposition de la Régie des quartiers de Tubize, qui n’était pas encore constituée en asbl et ne disposait pas encore de la personnalité juridique. Ce ne serait le cas qu’à partir de 2005. La mise à disposition du demandeur ferait alors l’objet d’une convention tri-partite.
Licencié en janvier 2016, le demandeur introduisit un recours auprès du Tribunal du travail pour réclamer la condamnation solidaire des Habitations sociales du Roman Païs et de la Régie des quartiers de Tubize au paiement de la rémunération selon une échelle de traitement supérieure, au paiement d’heures supplémentaires et de nuit prestées pour lesquelles il n’avait jamais été rémunéré, au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis calculée en tenant compte de la rémunération qui aurait dû être versée, et enfin à la production de tous les documents utiles au calcul de la rémunération moyennant astreinte.
Par le jugement du 9 janvier 2020, le Tribunal du travail déclare la demande recevable et fondée en ce qui concerne la revalorisation de la rémunération du demandeur et la revalorisation de l’indemnité compensatoire de préavis.
Le Tribunal constate que le contrat de travail qui avait pour objet de mettre le demandeur à disposition de la Régie (à partir du moment où celle-ci avait acquis une personnalité juridique propre) est irrégulier au regard de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à disposition d’utilisateurs. Partant, un contrat de travail à durée indéterminée est né avec la Régie, laquelle est solidairement tenue, avec les Habitations sociales du Roman Païs, au paiement des rémunérations, avantages et indemnités dues au demandeur.
Or, pendant toute la durée du contrat de travail, la Régie n’a pas rémunéré le demandeur conformément aux barèmes en vigueur au sein de la CP 329.02 dont elle relève. S’agissant d’une infraction continuée dont le délai de prescription ne commence à courir qu’à dater du dernier fait infractionnel, le demandeur est en droit de réclamer les arriérés de rémunération dus depuis que la Régie a acquis une personnalité juridique. Le Tribunal réouvre les débats pour que puissent être calculés les montants dus à titre d’arriérés de rémunération.
Par ailleurs, à l’appui de sa demande relative au paiement d’arriérés de rémunération pour la prestation d’heures supplémentaires et de nuit, et en l’absence de système de pointage, le demandeur invoquait notamment l’arrêt du 14 mai 2019 de la Cour de Justice (C-55/18). Par cet arrêt, la Cour de justice avait jugé que chaque état membre doit imposer aux employeurs de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant d’enregistrer le temps de travail journalier de chaque travailleur. Sans un tel système, il apparait en effet excessivement difficile, voire impossible en pratique, pour les travailleurs de faire respecter les droits qui leur sont conférés par l’article 31, §2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et par la directive 2003/88 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Or, si, en l’état actuel du droit belge, il n’est pas imposé de manière générale aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, le Tribunal rappelle qu’il appartient aux juridictions des états membres de prendre les mesures particulières pour atteindre le résultat fixé par la directive européenne. En conséquence, il réserve à statuer sur cette question dans l’attente de la réponse donnée par la Cour de Justice à la question qu’il pose au sujet de l’incidence de la directive 2003/88 sur la charge de la preuve. Le Tribunal s’interroge en effet sur le renversement de la charge de la preuve, qui, en l’espèce, incombe au demandeur, alors que celui-ci, partie faible au contrat de travail, n’a pas la possibilité de prouver la réalité des heures supplémentaires et de nuit qu’il a prestées à cause du non-respect, par son employeur, de la directive 2003/88 qui impose la mise en place d’un système fiable permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par les travailleurs.